Le logo de l’AGeCSO peut paraître mystérieux de prime abord, mais il résume symboliquement la démarche fondatrice que cette association propose pour la gestion des connaissances.

Ce logo est composé de deux figures.

La premièremoebus figure du logo est très connue, c’est la « bande de Moebius ». Elle représente un espace qui n’a ni intérieur ni extérieur. Pour se faire une idée de cette figure, on a l’habitude d’évoquer un ruban qu’on tord et dont on colle les extrémités. Contrairement au ruban, dont on colle simplement les deux extrémités sans le tordre, la bande de Moebius n’a pas d’intérieur ni d’extérieur car on les a « collés ». Essayez de partir d’un point de la bande, et de faire le tour, vous verrez qu’on ne peut pas dire « je suis à l’extérieur » ou « je suis à l’intérieur ». Un espace qui n’a pas d’intérieur et pas d’extérieur s’appelle un espace « non orienté ».

En quoi la démarche de gestion des connaissances est-elle « non orientée » ? En fait, la gestion des connaissances peut-être appréhendée comme deux programmes distincts qui peuvent apparaitre opposés, mais convergents. Le premier prend ses origines dans les organisations à risque qui se posent la question de la formalisation du retour d’expérience avant tout, puis globalement de la question de la gestion des connaissances dans une perspective de fiabilité organisationnelle. C’est une démarche endogène qui vient « de l’intérieur » de l’organisation, plutôt centrée sur la modélisation des connaissances. Le second part du constat de l’émergence d’une nouvelle configuration de l’économie contemporaine qui met au cœur du fonctionnement de l’entreprise la spirale des connaissances créatrices dans une perspective d’un positionnement concurrentiel par l’innovation. C’est une démarche exogène qui vient « de l’extérieur » de l’organisation, plutôt centrée sur les structures sociales propres à générer les connaissances. On voit donc que la gestion des connaissances vient à la fois « de l’intérieur » et « de l’extérieur » de l’organisation, elle doit donc concilier ces deux approches de manière totalement imbriquée. Un espace de gestion des connaissances doit donc, à l’instar de la bande de Moebius, «coller » l’approche interne et l’approche externe, au point de ne plus faire de séparation entre ce qui est extérieur ou intérieur dans le patrimoine de connaissances de l’entreprise.

branchinglineLa seconde figure du logo est moins connue, c’est la « branching line », qu’on pourrait traduire par « droite scindée ». Elle représente un espace dit « non séparé ». Qu’est-ce qu’un espace non-séparé ? Dans l’espace « normal » (celui que nous percevons autour de nous), si vous avez deux points, vous pouvez toujours séparer ces deux points, c’est à dire trouver deux ensembles (on dit des « voisinages ») qui contiennent chacun des points mais qui sont disjoints. Ce n’est pas vrai dans un espace non séparé. Bien sûr c’est une notion très abstraite et on ne peut pas dessiner des espaces non séparés puisque notre géométrie visible est « normale ». La « branching line » peut donner une idée d’un tel espace. Imaginez qu’on prenne deux droites, et qu’on « colle » leur deux demi-droites qui sont strictement en dessous de l’origine, et qu’on laisse telles quelles les deux autres demi-droites. On a donc un espace composé d’une demi-droite sans l’origine et deux demi-droites avec une origine chacune. Dans cet espace, si on dessine un voisinage d’une quelconque des deux origines, il y aura toujours une partie commune sur la demi-droite commune, on ne peut donc pas séparer les deux origines (vous pouvez essayer, ça marche pour tous les autres points de cet espace, mais pas pour les deux origines !). Graphiquement, ceci se représente par une droite qui se scinde en deux, et pour montrer l’exclusion de l’origine d’un côté et l’inclusion des deux origines de l’autre, il y a un crochet ouvrant vers les deux demi-droites (notation classique en géométrie).

En quoi la démarche de gestion des connaissances est-elle « non séparée » ? On parle beaucoup de démarches « pluridisciplinaires », « interdisciplinaires », « transdisciplinaires » etc. Les travaux de Piaget (1972) constituent une référence en la matière pour distinguer ces différentes relations entre les disciplines. La gestion des connaissances est résolument une démarche que nous qualifions « d’indisciplinaire ». Ainsi, pour un projet donné il est impossible (et d’ailleurs pas souhaitable) de séparer des approches disciplinaires. Il est d’ailleurs significatif que toute personne qui présente son domaine disciplinaire (et pas seulement en gestion des connaissances) le situe toujours à l’intersection de nombreux autres domaines. Ceci fait qu’on se situe globalement dans un espace où tout est à l’intersection de tout ! Difficile dans ces conditions de séparer des approches disciplinaires spécifiques sur un projet de gestion des connaissances. C’est donc qu’il faut résolument aller vers une approche indisciplinaire où chaque acteur apporte son corpus spécifique, mais qu’il sera impossible par la suite de séparer des autres corpus. Cette indisciplinarité suppose une véritable transdisciplinarité au sens de Piaget (1972), c’est-à-dire la nécessité de dépasser les interactions ou les réciprocités entre approches spécialisées pour situer les liaisons au niveau d’un système total remettant alors en cause les frontières stables entre les disciplines. Dans cette perspective l’explicitation fine du projet de recherche et de son cheminement en termes de reliance entre différentes disciplines deviennent des préalables épistémiques d’une grande importance. Ceci suppose un troisième programme de recherche sur les fondements épistémologiques du management des connaissances.

Le logo de l’AGeCSO veut refléter les caractères « non-orienté » et « non séparé » des démarches de gestion des connaissances, en tant qu’elles relèvent autant de démarches endogènes qu’exogènes dans l’organisation, et qu’elles mobilisent des approches disciplinaires variées qu’elles fusionnent de manière a posteriori indistincte.

Jean-Louis Ermine et Pascal Lièvre

Référence

Piaget (1972), « Epistémologie des relations interdisciplinaires », dans L’interdisciplinarité : problème d’enseignement et de recherche dans les universités, Paris, OCDE. Disponible en ligne.