La génération des connaissances dans l’activité au sein des organisations.

L’émergence d’une économie de l’innovation fondée sur la connaissance (Cohendet, 2005 ; Foray, 2009) provoque de profonds bouleversements sur le plan managérial, en mettant au centre de nos préoccupations la question de l’émergence, de la capitalisation et de la diffusion des connaissances (Nonaka, Takeuchi, 1995). La gestion des connaissances devient une source de valeur discriminante dans le positionnement concurrentiel des entreprises. En une dizaine d’années, le management des connaissances est devenu progressivement un domaine de recherche à part entière qui se traduit aujourd’hui par l’existence d’une vingtaine de revues référencées sur le plan international. Mais la constitution d’un champ de recherche sur le couplage « organisation-connaissance » nécessite une véritable interdisciplinarité au sens de Piaget, c’est-à-dire pour reprendre les mots de Piaget lui-même que les chercheurs soient « pénétrés d’un esprit épistémologiste assez large pour que, sans négliger pour autant le terrain de leur spécialité, [ils soient constamment capables de voir] les rapports avec l’ensemble du système des sciences » (Piaget, 1972 p. 33), voire accepter l’émergence d’une certaine transdisciplinarité. Dans cet esprit « indisciplinaire », sous l’impulsion de Jean-Louis Ermine, l’un des pionniers en France sur le thème du management des connaissances, Doyen de la recherche à Ecole Telecom Management, une communauté francophone de recherche s’est créée, regroupant des chercheurs issus de disciplines différentes : de l’informatique jusqu’à la psychologie en passant par l’économie, la gestion, la sociologie, les sciences de l’éducation et de la communication, et évidemment le champ des sciences cognitives. Le principe d’une conférence annuelle s’est progressivement imposé : Groupe ESC Troyes en 2008, EM Bordeaux en 2009, Ecole de Management Strasbourg en 2010, Groupe ESC Clermont-Ferrand en 2011 et pour la première fois hors de France, à l’ESG UQAM à Montréal (Canada) en 2012. Ces manifestations ont regroupé des chercheurs appartenant à une trentaine d’institutions et provenant de six pays. Les dernières manifestations ont fait l’objet de numéros spéciaux en matière de publication avec les revues Management & Avenir, Système d’Information et Management et VINE : Journal of Information and Knowledge Management Systems, Management international managementinternational.ca ,(les quatre à paraître en 2012). En 2013 d’autres revues seront associées : RFG (revue française de gestion), Electronic Journal of Knowledge Management, ejkm.com. Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels….

L’objectif de ces conférences est de réunir des chercheurs issus de différentes disciplines management, économie, sociologie, droit, sciences de l’ingénieur, etc.) autour des enjeux et des défis liés à la gestion des connaissances dans les organisations et plus généralement dans notre société. Cette 6ème conférence s’inscrit donc dans une perspective interdisciplinaire – voire adisciplinaire – et vise à croiser différentes approches académiques dans le but de repérer et de faire émerger les tendances qui se dessinent aujourd’hui dans les domaines suivants : la société de la connaissance, l’économie de la connaissance, la gestion des connaissances, la cognitique et l’ingénierie des connaissances. Cette conférence a un double objectif. Il s’agit d’une part de faire un bilan sur les avancées des analyses théoriques dans le domaine des organisations et d’autre part de tenter de comprendre les mutations rencontrées aux frontières et au sein des entreprises depuis plusieurs années et en corollaire de mettre en évidence les principaux enjeux de société liés à ces mutations. Les contributions s’inscrivent dans les quatre grandes thématiques suivantes :

    1. La société de la connaissance
  • Les débats récents autour de la « société de la connaissance » ou « société du savoir », reflètent une nouvelle vision de nos sociétés civiles dans laquelle la connaissance devient LA matière première du processus de développement socio-économique. Cette dimension est aujourd’hui au cœur du » processus de Lisbonne « et vise à faire de l’économie européenne : « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».L’avènement de cette « société de la connaissance » va s’accompagner d’importantes transformations dans le tissu socio-économique dont on appréhende encore mal la portée et les implications : quels seront les liens entre les connaissances certifiées par nos institutions et les connaissances développées par les communautés autonomes, comment vont évoluer les liens sociaux, quelle place pour les « seniors », la construction de nouveaux territoires « virtuels »…
    1. L’économie de la connaissance
  • La connaissance est désormais considérée comme une nouvelle source de richesse et un « nouvel » actif au sein des firmes et des organisations. Pourtant, les économistes n’ont pas attendu le « processus de Lisbonne » que nous évoquions plus haut pour s’intéresser à la nature de ce bien particulier qu’est une « connaissance », au processus d’élaboration des connaissances (le « knowing » et non pas seulement le « knowledge »).Cette dimension est ainsi au cœaur de l’école « évolutionniste » dans laquelle la connaissance est considérée comme un actif immatériel fondamental dans la croissance de l’entreprise, et comme une de ses principales ressources stratégiques. Sa gestion pose cependant de nombreux problèmes en raison de ses caractéristiques : la connaissance est difficilement contrôlable (diffusion involontaire, ou au contraire impossibilité d’accès et de partage). C’est une ressource inépuisable (elle ne se détruit pas par l’usage). Elle s’accumule dans l’organisation, et c’est à travers ce processus d’accumulation et en corollaire son exploitation et sa diffusion que se joue le développement de la firme. Aussi, quels sont aujourd’hui les enjeux liés à la gestion de cet actif, comment gérer et protéger au mieux la connaissance, comment mesurer cet actif immatériel, comment valoriser les connaissances de la firme?
    1. La gestion des connaissances
  • Dans une perspective plus managériale, la gestion des connaissances ou « Knowledge Management » (KM), est une discipline en pleine expansion dans le monde des entreprises dont les objectifs visent la création, la codification, la capitalisation, le transfert des connaissances au sein de l’organisation en lien avec la stratégie inscrite dans le cadre d’un régime d’innovation intensive et dans l’objectif d’améliorer la performance organisationnelle. Là encore, de nombreux défis restent à relever : quelle articulation entre stratégie de l’entreprise et management des connaissances, comment articuler management des connaissances et chaine de valeur de l’entreprise, comment stimuler l’innovation à travers la gestion des connaissances, quelles stratégies de gestion des connaissances adopter, quelles sont les modalités d’organisation concrètes à mettre en œuvre, comment favoriser la création de communautés de pratique et épistémiques au sein des organisations, comment réguler les interfaces entre des communautés de pratique et épistémiques et une organisation, et des organisations, comment gérer les connaissances dans l’entreprise-réseau, comment reconnaitre et gérer les experts, comment pratiquer une veille scientifique et technique, comment articuler connaissances expérientielles et connaissances scientifiques, quels sont les pré-requis en matière d’appropriation des connaissances, quelle place et quelle forme pour le retour d’expérience dans une perspective d’apprentissage organisationnel?
    1. La cognitique et l’informatique
  • Enfin, avec le développement des technologies de l’information et de la communication (ICT), les entreprises doivent faire face au problème de la « surcharge » d’information, c’est-à-dire de la quantité d’informations à traiter pour permettre aux acteurs de se forger une représentation de leur environnement interne et externe. C’est à ce niveau que se pose le problème du « sens ». En effet, la transformation de l’information en connaissance implique un processus d’interprétation. Ce processus cognitif permet d’exploiter la connaissance dans un contexte donné et donne un sens à l’action. En posant la connaissance comme objet central d’une étude pluridisciplinaire, la cognitique s’appuie largement sur l’informatique, mais elle étend son champ d’investigation bien au-delà de l’objet « information ». Dans ce contexte, les « facteurs humains » sont au cœur des sciences cognitives. L’étude des interactions « Homme-machine », l’aide et la suppléance cognitive, l’ergonomie cognitive… ne sont que des exemples des apports de la cognitique à la gestion des connaissances. Parmi les techniques de la cognitique, l’ingénierie des connaissances cherche à faciliter la conception de systèmes à base de connaissances. A ce niveau, la difficulté essentielle réside dans la capacité à transférer des connaissances d’un ou plusieurs experts humains dans un progiciel ou un artefact technologique. Là encore de nombreux défis doivent être relevés : quelles méthodes utiliser pour le « recueil » des connaissances, quelles sont les implications d’une approche cognitive de l’entreprise, à quelles conditions des connaissances sont-elles appropriables par des acteurs?

Le colloque GeCSO 2013 à Nancy s’inscrit dans la perspective ainsi tracée. Le thème retenu : « la génération des connaissances dans l’activité au sein des organisations » couvre un large spectre depuis les entreprises et leur stratégie d’exploration et/ou d’exploitation jusqu’aux institutions les plus culturellement enracinées comme les établissements scolaires.

Cette thèmatique peut se décliner en sous-thèmes :

  • Les M�thodologies : Quelles démarches pour capter, codifier capitaliser les connaissances (knowledge) (Ermine 2008) (Ermine Jean-Louis, Mahmoud Moradi et Stéphane Brunel 2012) (Boyer Anne) (Napoli Amadéo) ou les connaissances en train de se construire (knowing). C’est le domaine de l’ingénierie des connaissances, de la modélisation, des systèmes d’informations avec de nombreuses questions ouvertes : les ontologies, le data-mining, les groupe-ware, etc.
  • Les Conditions permissives et stimulantes : la cognitique (Claverie 2005) avec les apports des sciences et tehniques de la cognition, STC (Varela 1997) ; les sciences de gestion : pratiques de GRH (Paraponaris C & Jacquier-Roux V. 2012); marketing et gestion de la relation client ; la valorisation du capital immatériel ; les questions juridiques avec la propriété intellectuelle ; la gestion des brevets ; et bien-au delà les multiples aspects de la créativité (Cohendet et al. 2010).
  • Le management de projet innovants : (Garel 2011) (Lièvre 2006) (Aubry et al. 2011) artefacts, objets frontières, objets intermédiaires (Brassac & Gregori 2003), traces numériques, médiation scientifique, les interrogations sur la notion de connaissances expertes et de transfert de connaissances, etc. (Nicolini et al. 2012)

L’association GeCSO se qualifie volontiers d’« indisciplinaire » (Paraponaris C et al. 2012). C’est dire que son colloque est largement ouvert aux chercheurs en sciences sociales (économie, sociologie, droit, psycho-sociologie, linguistique, information communication, sciences de l’éducation) mais aussi en informatique qui depuis un demi-siècle (seulement !) a produit de tels bouleversement dans les pratiques (depuis l’ IA intelligence artificielle jusqu’à la réalité augmentée et les serious-games…) qu’il est devenu légitime, voire banal de parler de sociétés du savoir ou encore d’économie fondée sur les connaissances.

Le savoir, les connaissances comme stock d’informations ou selon une approche connexionniste voire non « représentationniste »… le KM est bien un domaine en émergence avec une sémantique mouvante que traduit l’idée d’ « indisciplinaire ». C’est dire que les questions de nature épistémologique ne seront pas mises sur le côté. Au contraire, les historiens des sciences pourrait apporter un éclairage pertinent (Collins 2010).

Dans ce colloque, l’apport des recherches orientées vers la pratique (practice-based view) nous aidera à sortir du piège que représente la langage (Wittgenstein & Collectif 2005). Une large place sera accordée aux praticiens qui seront largement sollicités, non pour simplement apporter des « témoignages » mais pour nous aider à construire ce domaine à visée praxéologique (Lorino et al. 2011).

Amin, A. & Cohendet, P., 2004. Architectures of knowledge: firms, capabilities, and communities, Oxford University Press.

Aubry, M., Lièvre, P. & Collectif, 2011. Gestion de projet et expéditions polaires : Que pouvons-nous apprendre ?, Presses de l’Université du Québec.

Boyer Anne. http://www.loria.fr/la-recherche-en/equipes/kiwi?set_language=en

Bédard, M.G., Ebrahimi, M. & Saives, A.-L., 2010. Management à l’ère de la société du savoir, Chenelière.

Brassac, C. & Gregori, N., 2003. Étude clinique d’une activité collaborative : la conception d’un artefact. Le travail humain, 66(2), p.101.

Cohendet P; Jean-Luc Gaffard, 2012. Coordination, incitation et création de connaissance,. Management International, 16(N° Spécial Gestion de la connaissance, société et organisation ».).

Cohendet, P., Grandadam, D. & Simon, L., 2010. The Anatomy of the Creative City. Industry & Innovation, 17(1), p.91.

Collins, H., 2010. Tacit and Explicit Knowledge, University of Chicago Press.

Ermine, J.-L., 2008. Management et ingénierie des connaissances: Modèles et méthodes, Hermes Science Publications.

Ermine Jean-Louis, Mahmoud Moradi et Stéphane Brunel, 2012. Une chaîne de valeur de la connaissance., 16(N° Spécial).

Ferrary, M. & Pesqueux, Y., 2006. Management de la Connaissance: Knowledge Management, Apprentissage Organisationnel et Société de la Connaissance, Economica.

Foray, D., 2009. L’économie de la connaissance. Available at: http://infoscience.epfl.ch/record/133595 [Consulté septembre 28, 2010].

Garel, G., 2011. Le management de projet 2e éd., Editions La Découverte.

Lièvre, P., 2006. Management de projets, les règles de l’activité à projet, Hermes Science Publications.

Lorino, P., Tricard, B. & Clot, Y., 2011. Research Methods for Non-Representational Approaches to Organizational Complexity: The Dialogical Mediated Inquiry. Organization Studies, 32(6), p.769-801.

Napoli Amadéo http://www.loria.fr/equipes/orpailleur/

Nicolini, D., Mengis, J. & Swan, J., 2012. Understanding the Role of Objects in Cross-Disciplinary Collaboration. Organization Science, 23(3), p.612-629.

Nonaka, I., 1991. The Knowledge-Creating Company. Harvard Business Review, 69(6), p.96-104.

Paraponaris C et al., 2012. Knowledge Management in a French Research Community – A Case Study of GeCSO Congress. journal of information and knowledge management systems, 42(3).

Paraponaris C & Jacquier-Roux V., 2012. Diversity and knowledge sharing: an analysis of integration processes in Multinational Firms. Journal of Information and Knowledge Management Systems, 42(3).

Teulier, R. & Lorino, P., 2005. Entre connaissance et organisation l’activité collective, Paris: la Découverte.

Varela, F.J., 1997. Invitation aux sciences cognitives Nouv. éd., Seuil.

Wittgenstein & Collectif 2005. Recherches philosophiques. Gallimard.