Avec Patrick Cohendet (HEC Montréal) et Jean-Louis Ermine (Telecom EM Paris).
Enregistrement effectué le mercredi 12 juin 2013 à l’Université d’Auvergne, lors de la 22e conférence de l’association internationale de management stratégique (AIMS).

AIMS 2013 – Clermont-Ferrand, le mercredi 12 juin : 11h-12h30

Fenêtre sur « Enjeux stratégiques et modalités en matière de management des connaissances »

Conférenciers invités : Patrick Cohendet (HEC Montréal) et Jean Louis Ermine (TEM, Paris)

Modérateur : Pascal Lièvre (UDA, FBS Campus Clermont, CRCGM, Clermont-Ferrand)

L’émergence d’un nouveau contexte économique depuis les années 90 qui prend la forme d’une économie de l’innovation fondée sur la connaissance se traduit par un régime d’innovation intensive où le positionnement concurrentiel de l’entreprise est assuré fondamentalement par l’innovation (Baumol, 2004). Ainsi, la performance de l’organisation repose sur des capacités à générer, transmettre, capitaliser cet objet curieux que sont les connaissances (Nonaka, Takeuchi, 1995 ; Cohendet, 2003 ; Foray, 2009). Les connaissances deviennent alors un actif précieux des organisations qu’il faut manager. Le management des connaissances devient stratégique pour l’entreprise. Dans un article fondateur Hansen et alii, en 1999, dans la Harvard Business Review, avaient proposé de distinguer deux types de pratique en matière de management des connaissances dans les entreprises : la codification et la socialisation. L’une était centrée sur la codification des connaissances et relevait plutôt du champ des Systèmes d’information. L’autre était plutôt centrée sur les échanges entre les acteurs en situation et relevait plutôt de la Gestion des Ressources Humaines. Ils opposaient ces deux pratiques et proposaient d’adopter l’une ou l’autre en fonction de la stratégie de l’entreprise et de considérer alors l’autre comme un support. Toute une littérature a pris comme référence et à discuter la thèse de Hansen et alii comme le montre un article récent de Mbengue (2013). Dans le même temps le champ du management des connaissances s’est profondément développé. On note aujourd’hui une vingtaine de revues scientifiques spécialisées sur le plan international qui publient des milliers d’articles tous les ans. Les pratiques de l’entreprise se sont aussi développées en la matière : service de KM, fonction KM, des outils KM ont été forgés et mise en œuvre, mais aussisont apparus : Learning Groups de Hewlett-Packard, Family-Groups de Xerox, Peer Groups de British Petroleum, des Knowledge Networks d’IBM ou du Club KM interne à EDF-GDF, Club Gestion des Connaissances TEM… On est plus à même de distinguer information et connaissance. On passe d’une vision où la connaissance était envisagée comme un objet, comme un stock de connaissance à une vision où elle est envisagée comme un processus, une activité cognitive. Les connaissances tacites ont fait l’objet d’investigation approfondie permettant de mieux saisir leur nature profonde sur le plan théorique (Tsoukas, Baumard, Gourlay…). Enfin le management des connaissances relève autant d’une approche défensive, qui consiste à capturer les connaissances qui vont disparaitre avec le départ à la retraite des salariés qu’une stratégie offensive où le management des connaissances est compris comme moteur de l’innovation.

Pour faire le point sur ces différentes questions et de tenter de les clarifier, nous avons proposé à deux chercheurs de référence de venir présenter l’histoire du développement de leur programme de recherche. L’un ayant pris comme cible la modélisation des connaissances comme Jean Louis Ermine (mathématicien d’origine) et aujourd’hui professeur à TEM, Paris, et l’autre ayant pris pour cible la structure sociale à même de générer, transférer, capitaliser des connaissances, comme Patrick Cohendet (économiste industriel au départ) aujourd’hui professeur à HEC Montréal. Nous émettons l’hypothèse qu’une attention soutenue à ces deux programmes de recherche permet de structurer le champ du management des connaissances, de mieux comprendre les développements d’un champ aussi complexe qui associe la connaissance et l’organisation qui nécessite de fait une certaine interdisciplinarité au sens de Piaget.

Le premier programme est centré autour des travaux de Jean-Louis Ermine (1996, 2003, 2008) et du modèle MASK dont le point de départ est une organisation à risque comme le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) qui se pose la question de la formalisation du retour d’expérience. Aucune organisation à risque ne peut fonctionner comme le rappelait Georges Yves Kerven (1996) sans se nourrir de cette connaissance particulière qu’est le retour d’expérience. Jean-Louis Ermine construit une méthode formelle de modélisation des connaissances, à forte capacité intégrative sur le plan théorique : le modèle MASK. Le point de départ de ce modèle est l’articulation entre la théorie du système générale de Le Moigne (1994) et le modèle SECI de Nonaka et Takeuchi (1995). Après différentes avancées le modèle Mask (sous la forme de Mask 4) s’intéresse à l’articulation connaissance-innovation. Nous intitulons ce programme : des organisations à risque à la modélisation des connaissances pour l’innovation.

Le second programme est centré autour des travaux de Patrick Cohendet sur les communautés de savoir et de créativité (Amin, Cohendet, 2003 ; Cohendet, Crepet, Dupouet, 2005 ; Cohendet, Simon, 2009). Le point de départ est complètement différent. C’est le constat de l’émergence d’une nouvelle forme de configuration de l’économie contemporaine, une économie de l’innovation fondée sur la connaissance qui bouleverse profondément les règles du jeu managérial. La connaissance devient le fondement de la création de la valeur de l’entreprise parce qu’elle permet l’innovation. Or, il apparait que ce sont les communautés en tant que forme social spécifique qui permettent l’émergence, la circulation et la capitalisation des connaissances. Ces communautés apparaissent fondamentalement comme informelles et auto-organisées. Quel est le véritable statut « social » de ces communautés ? Comment peut-on les piloter ? Il apparait que ces communautés doivent être aussi créatives et qu’il existe des prérequis à cette créativité. Nous dénommons ce programme de l’économie de la connaissance aux pilotages des communautés de savoir et de créativité.

Pascal Lièvre